La retouche photo
Yo.
On me demande souvent si je retouche mes photos. La réponse est oui, mais peu de gens savent réellement de quoi il retourne, et rien que le terme de "retouche" fait débat même chez les photographes. On va voir ça ensemble.
(Nota bene : je n'ai pas la science infuse, j'essaie d'apporter des explications aux gens qui ont plus d'à-priori clichéesques que de connaissances sur le sujet, d'expliquer ce que je fais à titre personnel à mes images, et le pourquoi du comment du wtf ta mère du concept de retouche).
Le terme "retouche" englobe à lui seul (en plus d'une quantité inimaginable de fantasmes populaires) plusieurs pratiques distinctes :
- le développement des fichiers RAW (ce que je fais 95% du temps à mes images)
- la retouche à proprement parler, célèbre pour être sur-utilisée dans les rédactions de magazines cul-cul, et tristement célèbre pour ses abus faisant circuler l'idée que toutes les mannequins ne sont que des copier-coller d'un "idéal esthétique" du corps humain (pratique qui rejoint le prochain point). Si cet outil est manié avec parcimonie le rendu peut être très intéressant.
- les bidouillages (du style virer les poubelles d'un paysage, ou faire passer n'importe qui pour Pamela Anderson - avec en prime une peau plus lisse que celle d'une poupée de cire et un sourire tellement blanc que même Monsieur Propre passe pour un clodo)
- le photomontage, l'assemblage d'images qui n'ont à l'origine rien à foutre ensemble
Le développement est la correction de l’interprétation de l’image faite par défaut par le boîtier. Or un appareil n’a pas précisément le même regard sur une scène qu’un œil humain, il convient donc de corriger cette différence avec des logiciels comme Lightroom, DXO, Darktable, Affinity Photo, Raw Therapee, UFRaw ou autres.
À ce propos j'aimerais rétablir la vérité sur un point ("une foi n'est pas costume", ou "l'habit ne fait pas le moine", au choix... Mais les soutanes n'ont strictement aucun rapport avec le sujet) : les photos sans retouches n'existent par définition pas.
En effet, au moment de la prise de vue l'appareil capture un fichier brut (RAW) qui est ensuite soit enregistré directement sur la carte mémoire (mais inutilisable en l'état), soit interprété en fichier JPG avant d'être stocké (alors utilisable et publiable directement, mais le fichier RAW est supprimé instantanément sans même que vous n'ayez soupçonné son existence. C'est furtif ces petites bêtes). Si l'immense majorité des appareils de prise de vues ne shootent qu'en JPEG, c'est parce que l'immense majorité des gens n'ont pas l'utilité des fichiers RAW. La subtilité est qu'au moment de la transformation RAW -> JPG l'appareil sélectionne les informations lumineuses à garder ou non, alors que si vous traitez le fichier RAW vous choisissez vous-même manuellement les informations à garder. L'avantage du format RAW par rapport au format JPEG est justement d'enregistrer un maximum d'informations lumineuses disponibles au moment de la prise de vue, ainsi le développement consiste à choisir lesquelles garder au final.
On peut en fait voir le développement d'une photographie comme un tri d'informations plus précis que ce qu'aurait fait le boîtier par défaut.
En excluant l'aspect vu au-dessus l'on peut considérer qu'une photo est retouchée à partir du moment où elle est modifiée après la prise de vue. Donc un recadrage est une retouche, la mise en noir et blanc d'une photo couleur est une retouche, et ainsi de suite.
Les photos estampillées "sans retouche" sont donc dans la grande majorité des cas des images qui n'ont pas été modifiées après l'interprétation de l'image par l'appareil au moment de la prise de vue, ou très peu modifiées (comme un simple recadrage, une mise en noir et blanc, l'ajout d'une signature, etc). Le but est bien souvent de faire comprendre à la personne qui regarde l'image que ce n'est pas un photomontage, et que même si la photo est extraordinaire elle a été prise pour de vrai.
C'est bien joli, mais ce genre d'utilisations amalgamiques et trompeuses du mot "retouche" me force à écrire des articles de remise au point aussi longs que céphalostésiques. Ouais j'ai dû inventer deux mots dans la phrase précédente pour faire passer l'idée, mais le principal est d'être compris. ...Comment ça t'as pas compris ?! Bon ok : mauvaise utilisation auprès du grand public d'un mot désignant quelque chose de précis = besoin moi recadrer les choses dans articles compliqués = mal de crâne toi. Capich ?
Alors concrètement, qu'est-ce que je fais avec mes fichiers RAW ?
Eh bien je les importe dans Lightroom, les trie, je corrige éventuellement la déformation de l'objectif, je les recadre parfois, je gère les hautes et basses lumières, le niveau de détail, les contrastes, parfois les couleurs (c'est assez rare que j'y touche), et puis j'exporte les quelques photos que je souhaite utiliser. Oh et parfois j'assemble des photos pour faire un HDR ou un panorama, mais c'est assez rare aussi.
Avant de publier son livre un écrivain va mettre son texte au propre, corriger d'éventuelles fautes, reformuler quelques phrases par-ci par-là et travailler la mise en page de son ouvrage. Il ne va pas faire publier ses brouillons manuscrits et raturés, ça serait illisible. Ben là c'est le même principe, si je ne reprenais pas manuellement l'interprétation faite par défaut par mon boîtier, beaucoup de mes photos seraient mal cadrées, ternes et sans vie (d'autant que j'ai réglé mon boîtier justement pour rendre de telles images afin de déceler toute la gamme dynamique au moment de passer au développement, mais là n'est pas la question). Ça serait idiot de faire ça alors que toutes les informations lumineuses que j'ai voulu capturer sont à portée de main, encodées dans un fichier non compressé, n'est-ce pas ?
Si je ne les développais pas nous aurions juste des images au mieux "un peu sympa", mais qui ne retranscriraient pas vraiment ce que j'ai vu ni ce que j'ai ressenti devant la scène que j'ai photographiée. La retouche (ou le développement, c'est comme que c'est vous qui voyez, toi) sert à ça, redonner vie à l'image et faire passer l'émotion de l'instant immortalisé afin d'outrepasser le simple côté informatif de cette image sans pour autant la dénaturer ni travestir la réalité. Nous aurions aussi pas mal de photos toutes blanches ou toutes noires à cause des rapides et intenses changements de lumière sur des concerts, alors qu'avec du RAW je peux récupérer énormément d'informations en post-prod.
Voilà, c'est aussi con que ça. Vous voyez, ce n'est pas de la magie, ni de la triche d'ailleurs.
Notons que je ne pratique pas de retouches très approfondies comme peuvent le faire des photographes de mode, des photographes industriels qui font des affiches publicitaires et des emballages de boîtes de gâteaux. Bien que les photographes de packshot et de studio en général soient intéressants sur bien des points, cette recherche de sur-perfection qui va au-delà de la réalité pour idéaliser un produit et transformer des mannequins en poupées Barbie n'entre pas dans mes pratiques. Si un jour je shoote le concert d'un chanteur qui louche, qui a des dreadlocks dans ses narines et des boutons d'acné gros comme des camions, ça apparaîtra sur les images (ça peut être très marrant d'ailleurs). En revanche si un jour j'ai besoin d'utiliser certains de ces outils pour un projet en particulier je n'y suis pas fermé. On verra ce que me réserve l'avenir ;-)
À l'heure où j'écris ces lignes je n'ai fait que très peu de portraits en studio, et je me rends compte à quel point les outils de retouche sont utiles et puissants, mais aussi à quel point il est facile de passer du côté obscur de la Force et d'en faire trop. L'équilibre n'est pas toujours simple à trouver, et je comprends que certaines personnes y aillent un peu fort avec ce genre de choses, surtout si leur rédac chef leur impose des délais impossibles à tenir.
(Au passage je ne suis pas mécontent de mes premiers résultats en studio, coucou Emma !)
"Mais la retouche, c'est quand même de la triche, et pi c'est tout ! Au moins les photographes qui shootent à l'argentique, on est sûrs que les photos sont des vraies, na."
Non. Parce que le concept même de post-traitement existait avant la naissance de la photographie numérique, na. La technologie n'était juste pas la même, et au lieu de se retrouver devant un ordi il fallait bosser dans un labo avec des négatifs, et actuellement il est tout à fait possible de numériser une image prise avec un appareil argentique et de la modifier avec un outil informatique. Et toc. Dans le cul Lulu.
La photographie est une pratique très subjective, même pour les photojournalistes. Cette subjectivité passe aussi bien par la post-production que par l'équipement d'un photographe, son style, son regard, la relation qu'il a avec le sujet, le choix des éléments à inclure ou à exclure du cadre, la focale, les réglages utilisés, le tri des images après la prise de vues, etc.
Quand je prends tout cela en compte, je n'ai pas peur ni honte de dire que la retouche fait partie intégrante du métier de photographe et ne fait pas de ceux qui utilisent cette technologie de mauvais photographes (pas tous en tout cas).
Après pour ce qui est des photographes qui ne se gênent pas pour intégrer sur l'une de leurs images un faux ciel et des PNG d'oiseaux trouvés sur le net pour remplacer un ciel "cramé" sur une photo ratée, eh bien écoutez c'est triste pour eux. Je me demande comment ils font au quotidien à ce propos... Est-ce qu'ils se regardent fièrement dans le miroir après y avoir préalablement collé une image de John Petrucci ? Est-ce que leurs fenêtres sont recouvertes de paysages lointains découpés dans National Geographic ? Leur montre n'est-elle qu'un dessin au stylo bille ? Est-ce qu'ils ne baisent leur copine moche que lorsqu'elle porte le masque de Kendra Sunderland ?
Je vais me permettre de vous quitter sur ces visions cocasses de gens qui poufferont certainement de rire avec nous, surtout quand ils se remémoreront non sans une pointe de nostalgie le jour où ils ont acheté leur première télévision et ont laissé des semaines durant le carton de protection avec une belle image en pensant que c'est une chouette télé, et qu'il n'y a pas besoin de la brancher.
Allez, à plus, et n'oubliez pas : au fond de nous, nous sommes tous des Knopparp.
Tigroo